Dans la petite salle Jean Tardieu du théâtre du Rond Point, au bord des lumières du flot des Champs Elysées, se joue un texte essentiel, « Laika » d'Ascanio Celestini, porté par David Murgia, frêle silhouette perdue dans sa veste, mais dont la stature de son jeu l'habille, enveloppé par le souffle de sa parole. Il remplit tout l'espace. Ces deux grands se sont trouvés depuis 2012 à travers « Discours à la nation », œuvre remarquée au festival Off d' Avignon.
Ce soir le théâtre est bondé, pour y accueillir une foule, dont les convives du restaurant, lui aussi bondé. Ils vont pouvoir ensuite se déverser dans la grande salle, vers " Le banquet" pièce de Mathilda Mey, où un public va pouvoir savourer son vécu d'entre soi.
Nous sommes quelques spectateurs à nous glisser vers la porte du bas. Une hôtesse nous invite à laisser la place libre au ballet des serveurs, et nous refoule délicatement vers l'escalier. La pièce commence t-'elle déjà?
En effet, Ascanio Celestini est un auteur haut défenseur des valeurs sociales populaires. Ici sait-il que l'actualité se joue dés le devant les battants de la porte?
Sur scène, un petit rideau rouge nous rappelle que nous sommes au théâtre, avec pour seul décor quelques caisses superposées, des lampes disposées sur le sol, et un accordéoniste qui accompagnera David Murgia, et lui permettra de respirer et de mieux repartir encore et encore...
Dans cette société où grandit les croyances religieuses extrémistes, nous nous rapprochons d'une salle de bar de quartier, petite lucarne sociétale, où les clients refont le monde sans bouger un orteil. Pas très loin, un dieu, celui qui questionne. Le sens du savoir reprend sa place, la monnaie redevient le franc, Stephen Hawking, scientifique du Big Bang, est encore vivant. Nous sommes dans un contexte intemporel, si loin, si proche.
Les mots entonnés par David Murgia nous engloutissent dans la vraie vie, et nous fait plonger dans le monde des petites gens, ceux qu'on ne remarque plus, " Les invisibles". Notre regard va se poser plus facilement sur la couleur vive du pull du directeur du lieu, sur le manteau panthère d'une belle jeune fille..." Les visibles".
David déroule l'histoire imaginée sortie du quotidien concret dans un immeuble et son quartier, dans l'usine et le supermarché voisins. Cela peut se passer à Rome, à Paris, ou ailleurs. On ne peut s'empêcher de penser au cinéma de Pier Paolo Pasolini, de Robert Guédiguian. Dans une Europe où ce Dieu pourrait nous réunir dans nos cultures communes. Il questionne le sens des mots, en lien avec le sens des actes. Nous sommes emportés par cette salve de mots. son timbre de voix nous martèle. Ses chants, nous entrainent à la dérive, à tous les étages, entre rires et émotions. Nos yeux s'humectent. L'humanité déborde.
Le texte d'Ascanio Celestini est une empreinte qui ne nous quittera plus. On respire le parfum de pneus de la prostituée, on croise le regard de cette femme à la mémoire qui flanche, on pose la main sur l'épaule du clochard, on entend les cris de travailleurs noirs que les policiers balayent de façon musclée.
Nous nous surprenons tout à coup à nous demander quand nous prenons le temps pour prier, quand nous regardons autrement émerveillés la voute céleste de Mr Celestini, quand nous redécouvrons fascinés la sciences du Big Bang. La tête un peu plus haut dans les étoiles, nous touchons plus fortement l'âpreté de l'asphalte.
Les messages de ce dieu prennent tout leur sens dans la langue de "Davidascaniomurgiacelestini". Ils font corps, et avec le public nous faisons âme.
Les bourgeois entendent ils si fort ce qui est clamé: "Le Prodige". Existe t'-il? Oui, pendant quelques fractions de secondes, dans l'éclat du Big Bang, au pied d'un immeuble de cité. Il a eu lieu un miracle, grâce à 3 personnages fragiles de notre société: Une vieille, un faux aveugle, et une prostituée. Ils sont devenus les héros, les représentants de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
Un exemple qui prouve comment dans un élan tout peut basculer, grâce à une énergie individuelle qui créée un groupe engagé dans les même valeurs, sans pour autant jouer de son pouvoir. Juste en remettant du sens dans l'humain, entre pensée et action.
Ce soir, on peut imaginer que Laika, petite chienne, « celle qui aboie », nous regarde du haut de la stratosphère.
Sylvie Lefrere
" Laika" d'Ascanio Celestini au théâtre du Rond Point, du 10 octobre au 10 novembre.
https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/laika/
https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Laika/videos/Laika-Ascanio-Celestini-presentation-par-David-Murgia-12415?autostart